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…Salvador Dali "Enfant géopolitique observant la naissance de l'Homme nouveau" (1943), et l’Homme nouveau de la révolution fasciste italienne…

 

 

 Son histoire post-déshérence est aussi l’histoire de sa ruine et de la patine du temps. Ces stigmates permettent au sujet d’adoucir son regard sur l’entreprise des idéologues du XXème Siècle et assimiler son existence en temps que trace du passe. C’est un processus qui permet de concevoir l’espace temps qui sépare deux âges. On observe une double temporalité contraction/décontraction de l’histoire et du temps. Marguerite Yourcenar parle très élégamment du rapport entre l’histoire, le temps et le monument :

 ''L’image de la ruine ne déclenche pas chez Piranèse une amplification sur la grandeur et la décadence des empires..., mais une méditation sur la durée des choses ou leur lente usure, sur l’opaque identité du bloc continuant a l’intérieur du monument sa longue existence de pierre. Conversement, la majesté de Rome survit chez lui dans une voute crevée plutôt que dans une association d’idées avec César. L’édifice se suffit ; il est à la fois le drame et le décor du drame, le lieu d’un dialogue entre la volonté humaine encore inscrite dans ces maçonneries énormes, l’inerte énergie minérale et l’irrévocable Temps.'' Marguerite Yourcenar, Le temps, ce grand sculpteur. 1983.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  Gravure de Piranèse (1720-1798), ruines romaines.

 

   DEUIL

 

 L’abandon de ces espaces de l’utopie politique est légitime. Il s’apparente souvent à un traumatisme historique lié aux nombreux abus des idéologies politiques du XXème Siècle. Ces systèmes politiques ont vu leurs enjeux corrompus et, dans certains cas, profondément pervertis au point de confondre leurs doctrines en de véritables dystopies politiques.

 

 Les monuments de ces idéologies témoignent parfois des périodes sombres de l’histoire et ceux-là ont participé a l’auto proclamation et a la légitimation de régîmes dictatoriaux. Ces édifices ont donc une triste mémoire dans la conscience collective.

 

 Nous connaissons aujourd’hui une partie des issues historiques de ces grands mouvements idéologique. La fin du XXème Siècle marque l’abandon progressif de la majorité de ces utopies romantiques et les nouveaux systèmes sociaux vont promouvoir d’autres formes architecturales et d’autres espaces.

Aujourd’hui la plupart des lieux de célébration de l’idéologie en ce qui concerne les utopies/dystopies socialistes et fascistes ont été soit détruits, soit oubliés, soit réaffectés (une autre forme d’oubli), certains ont été conservés pour commémorer, dans le sens de la mémoire commune.

 On ne peut pas dire que le deuil lié a certains de ces espaces politiques soit achevé car la distance historique est trop faible et le traumatisme trop fort. Ce deuil fait partie de la conscience collective européenne, ces monuments en sont la trace, ils continuent à être traités comme les stigmates d’une culture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

 Jan Kempenaers, Spomenik #4 (Tjentište), 2007.

 

 

   ERRANCE

 

 Tous les aspects énoncés constituent une perspective du monument utopique pour comprendre par les émotions son objet et son influence. Mais il semble illusoire de vouloir décrire tout le spectre des émotions liées à de telles topies. Car l’atmosphère de ces bâtiments est surtout vécue de maniéré individuelle, subjective. Et la façon de percevoir ces endroits est liée aussi à la façon de vivre le deuil collectif.

 

 C’est le moment de l’errance, le moment où s’expriment la conscience collective et la mémoire individuelle dans une chimie complexe où l’individu va projeter ses fantasmes et ses fantômes.

 

 Ce phénomène peut s’expliquer par les fortes capacités d’évocation, de suggestion de ces espaces et par l’important manque provoqué par l’absence d’hommes. Seul avec lui même, le sujet se trouve dans une situation extrêmement propice à la spéculation et aux chimères. C’est cette errance qui, peut-être, va permettre à l’individu de s’approprier le lieu et quelque part, d’exorciser son deuil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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     Bouzloudja, ancien palais des congrès, Bulgarie. 1981.

 VANITAS, OU LA DÉSHERENCE DES UTOPIES POLITIQUES.

   DÉSHÉRENCE

 

 La déshérence est la situation dans laquelle se trouve un bien ou un patrimoine lorsque son propriétaire est décédé sans laisser d'héritier connu.

 

 L’expérience qu’implique la visite d’un monument politique  en déshérence est interpellant. En effet, les champs d’évocations qui se rapportent aux espaces de l’idéologie est large et complexe. Il suppose, entre autre, une relation symbolique à l’espace, à l’histoire collective et individuelle. Mon travail consistera à proposer des axes de lecture liés aux qualités d’expression de ces espaces.

 

 

   MONUMENTALITÉ

 

 La monumentalité définit deux acceptations. Nous étudierons d’abord ce qui est propre au monument, son aura et sa nature, puis ce qu’il entend par extension.

 

 L’aspect monumental et son effet sur la conscience ont été des atouts majeurs de propagande idéologique, il joue un rôle d’argument d’autorité de part son rôle social, culturel et cultuel (célébration, postérité, mémoire…).

Ce sera même à dessein que certains monuments exprimeront implicitement (par leur géométrie, leur expression) l’autorité d’une idéologie.

Ce dépassement de l’individu est lié à l’esprit même du monument, à son expression symbolique et conceptuelle. En effet, Marc-Antoine Laugier dans ces essais sur l’architecture en 1753, imagine que la structure de la cabane primitive serait en fait à l’origine de l’aspect du temple Grec. En Égypte antique, les colonnes papyriformes des temples rappellent à l’habitat vernaculaire des paysans de la vallée du Nil.

 Tout se passe comme si la maison, qui est le cosmos du ménage, se retrouvait magnifiée, agrandie, et pérennisée dans le monument qui serait le cosmos de la société et, par extension, de la civilisation. Et donc, que l’esprit d’une culture réside dans le monument.

 

 Au monument s’ajoute alors, l’échelle civilisationnelle et la multitude qu’elle sous-entend. Ainsi, Albert Speer rapporte les paroles d’Hitler à propos de l’esprit de l’architecture nationale-socialiste : « il avait coutume de dire que, si dans quelques siècles son empire s’écroulait, les ruines de nos constructions témoigneraient encore de la force de notre volonté et de la grandeur de notre foi». Ce passage, suggère l’étroit rapport qu’entretient une ruine avec sa civilisation.

 

 En fait, le monumental désigne par extension ce qui est gigantesque, colossal, ces deux acceptations tendraient à se rejoindre dans la notion d’échelle. Au cours des XIXème et XXème Siècle la progression technologique dans le domaine constructif, va donner une nouvelle ampleur et une nouvelle plastique à l’architecture (techniques mixtes pierre-acier), ainsi qu’un goût romantique pour le colossal. Ces dispositifs seront mis au service du monument dans l’esprit  d’illustrer la grandeur et l’aspect illustre d’une doctrine, d’un principe, d’un dogme… La taille colossale résonne avec l’esprit de la grandeur, et sous entends l’envergure des moyens mis à disposition (et donc toute la logique d’organisation et de production en amont).

Ainsi le monument réuni deux formes de représentation du monumental et contribue à un double malaise de l’individu. L’échelle physique, en rapport à la taille du bâtiment, et l’échelle de la société, c’est à dire de la multitude des Hommes.

 

 Il s’agit alors pour le sujet d’une double perte dans l’échelle de ces topies. On peut parler de trouble lié à la disproportion des dimensions, à la perte dans l’échelle de l’individu face à l’espace et de l’individu face à la multitude.

 

     

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

''Marc-Antoine Laugier dans ses essais sur l’architecture en 1753, imagine que la structure de la cabane primitive serait en fait à l’origine de l’aspect du temple Grec. Le cosmos du ménage, la maison, se retrouve en fait en pérenne et monumental dans le cosmos de la société, le monument.''

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

    Nuremberg, Centre des Congrès national-socialiste, Albert Speer. 1933.

 

 

   ABSENCE

 

 Cet appel du monument à la multitude constitue certainement le paradoxe le plus marquant d’un milieu en déshérence. Un tel lieu suppose un grand nombre d’hommes et se caractérise par une grande absence. Car un milieu en déshérence est de fait dépeuplé. C’est de cette contradiction que surgit un sentiment de malaise.

Cette émotion est liée à la métaphore familière de la « coquille vide ». Ce vide physique d’homme appelle à une grande solitude et un grand manque. Il est possible que l’esprit du sujet ait, en fait, effectué une superposition d’images avec le vide physique et développe un manque. Car l’univers de la solitude et du sentiment d’abandon s’exprime à travers l’absence.

 

 L’absurdité du lieu (grandeur et décadence) renvoie aussi à l’absurdité de l’existence en face du temps et en face de la mort. Ainsi, ces topies fonctionnent malgré elles comme la vanité classique qui évoque la vanité des biens terrestre, vanité des richesses et du pouvoir, et l’aspect transitoire de la vie humaine. (Ingvar Bergström (1913-1996), historien de l'art). La vanité de l’Écclésiaste : « Vanitas vanitatum, et omnia vanitas ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     Michigan Central Station, Detroit. EUA. Yves Marchand & Romain Meffre.

 

 

 (h/H)ISTOIRE

 

L’histoire du monument utopique a deux aspects liés à ses deux temporalités, celles de son histoire pré et post déshérence.

Son histoire pré-déshérence confère au bâtiment son aspect de véhicule temporel, son aspect d’artefact, sur lequel l’archéologue et l’historien s’attardent pour voir et comprendre l’époque contemporaine de son édification et son usage. Mais aussi son rapport à l’Histoire (avec un grand « H »), car ces édifices entretiennent un rapport étroit avec la construction de notre contemporanéité.

 

En effet, les Utopies politiques du XXème Siècle, sont des grands mouvements de pensée liés à la croyance romantique en une humanité nouvelle à l’aube d’un nouveau millénaire. Les démocraties et totalitarismes occidentaux ont invoqués dans leurs monuments, les espaces de cette société nouvelle, une conception propre du cadre dans lequel cette humanité allait se développer et croître. Il s’agissait donc de créer un cadre paternaliste et/ou autoritariste, modelé pour les générations futures. Ces espaces traduisent surtout la spécificité de la doctrine politique à travers les formes dans lesquelles elles se matérialisent. Les ruines de ces espaces sont des témoignages de la décadence d’un modèle politique, de l’histoire immédiate ou moins immédiate de l’occident. Elles s’investissent d’un rôle toujours paternaliste et directeur, un rappel constant à l’ordre et à l’autorité de la mémoire. Cet autoritarisme reste encore palpable dans l’espace de ces lieux et contribue à créer un rapprochement de l’histoire, à contracter le temps.  

 

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